• monsieur da

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  • 2. Je m'étais assise sur cette pierre érodée par les années. Elle était ronde comme une femme enceinte. Emplit de cette immuable sérénité qui cache en son sein tant de mystère. Je contemplais blanche éclaboussée de boue et de cendre. J'étais abasourdie.  Mon regard ? Mon regard à la dérive. Je devenais liquide.


    Je me sentais dégouliner le long du ventre rocailleux. Suivre le chemin des entailles que lui avaient infligée les années. Il me semblait que tout ou presque demeurait sans vie. Alors je me demandais bien ce que pouvait me promettre le flanc dodu de cette pierre. Blanche restait immobile. 


    J'aimais cette terre pourtant. C'était la mienne, léguée par mes aïeux. Ils me l'avaient transmise comme l'on confie le bien le plus précieux, dans un murmure. Elle était une promesse d'essayer de faire mieux. Ici un bosquet, là une frondaison, un flanc de colline fertile, le chant d'un ruisseau joyeux qui lui donne vie. La vigne. L'équilibre des saisons qui font leçon. Le bal des oiseaux et ce vieux cèdre malade qui leur servait de reposoir dans leur jeux essoufflés. Le vieux cèdre isolé sur la crête échevelée comme le témoin de nos générations affolées. J'avais le devoir de ne pas oublier son regard immobile et sévère sur l'évolution de notre monde. Blanche restait immobile, le cèdre était en train de pourrir.


    En boucle dans un des lobes de mon cerveau, le son des chars sur le pavé, le front fier et arrogant d'un orgueil qu'on révère. Le sifflement perfide des musiques si étranges qui confisque la vie. Blanche avait choisi son repos éternel. Se précipiter dans le vide. Valait-il vraiment la peine de mourir.


    J'avais dans la main gauche mon petit carnet de cuir. Il ne quittait jamais ma poche. Il sentait le fruit des années qui se noircissent à l'encre sous un châtaignier ou à l'ombre d'un figuier. Il avait la saveur de cette douce langueur de midi. L'odeur de la pierre blanchie. Celle de la laine que la brise mêle à l'herbe roussie. Celle de mes siestes rêveuses sous l'oeil rond de la brebis.


    Maintenant l'encre bavait, le cuir dégorgeait de souillures rougeâtres, le papier prenait une forme de linceul qui en avait trop vu.  Le ciel sifflait, ma gorge se rétrécissait. J'avais du mal à avaler. Il avait plu du fer.
     

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    après l'Orage
     
    1. Le ciel grondait  encore par soubresaut. Comme un animal convulsé et fatigué d'avoir tant lutter. Il avait frappé sans discernement. Sans savoir. Au hasard de sa foudre. Ni justice, ni justesse. Le ciel s'était déchiré. L'orage avait éclaté. Un son sourd, mais clair, mais net. Une détonation. l'air s'était fendu. L'explosion avait foudroyé sans prévenir. De ce genre de sons qui surprennent jusque dans le tréfonds des os et qui glacent la peau.

    J'entendais les chiens hurler le rappel. Les poules se taire. Leurs plumes et leurs caquètements s'affoler dans un étrange ballet désordonné, leur cou se plier. Ces poules étaient contorsionnistes. Tout mais une aile. Une aile chaude pour ne pas voir la fin du monde. Se préparer aux festivités.

    Les portes de la bergerie claquaient toujours dans mon esprit. Certaines brebis affolées avait préféré le précipice à cet apocalypse. Valait-il mieux mourir.

    Pourtant, le ciel avait fini par se calmer. Le vent tourbillonnait et finissait le travail. Il balayait, rangeait le k.o et effaçait les traces du forfait. Brosser les hautes herbes, plus que les caresser, les ébouriffer. Le vent était une sorte de maîtresse cruelle et dévouée pour ce ciel capricieux. Un époux pour la tempête. Comme un aboyeur, il annonçait sa venue colérique. Il lui cédait la place au plus fort de l'orage. Et il restait un peu après, tel un servile serviteur, pour nettoyer. Avec ce sourire figé et mensonger, il se faufilait discrètement entre les troncs et les boulots pour disparaître sur la pointe des pieds. Plus un papier ne volait. Tout était pesanteur étouffée. La nature était groggy. Les ruisseaux vomissaient toutes leurs eaux. Les pétales? abîmés et commotionnés. Les illusions, les idéaux.... écorchés. Mes cheveux dégoulinants, mes os portaient mes habits comme on porte un âne mort. Gris. Mes cils? Mes cils étaient tout collés. Mes oreilles bourdonnantes et sourdes.

    Parfois le vent me frigorifiait. Je le préférais dansant et en liberté.

    Moi, je contemplais blanche au pied de cette falaise découpée par le suif du ciel tout juste auréolé. Un prisme de couleurs pour se faire pardonner tous les désastres trempés. Blanche. Ma blanche avait encore ses grands yeux innocents ouverts sur le monde en décrépitude. Elle avait probablement lutter comme l'avait fait toute la nature. Il faut croire que ce monde appartient toujours aux plus forts. Ma Blanche. Elle avait appelé de ce petit chant frêle et paniqué. L'orage était un grand ténor. Un simple raclement de gorge suffisait à couvrir tout autre type de son.
     
    crédit photo : O. Rheindorf 
     

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